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jeudi 9 juin 2011

L'alcool et la nostalgie de Mathias Enard


Vous exagérez, cher monsieur. Et même vous vous trompez. Vous aurez beau chercher, vous ne trouverez rien. Cette fameuse âme russe n'existe pas. Les seules choses tangibles en sont l'alcool, la nostalgie et le goût pour les courses de chevaux. Rien de plus, je vous l'assure, écrivait Anton Tchekhov dans La Poste de Tver.
Placé en exergue du nouveau livre de Mathias Enard cette citation sonne comme un aveu. Parti à coups de mythes à la recherche de l'âme russe dans les premiers temps de la Russie post-soviétique, l'auteur se noie dans l'alcool et la nostalgie.
Aux heures chaudes de juillet dernier, sciant des planches d'étagères à livres au fond de mon gourbi, maculé de sueur et de sciure, j'écoutais, pour l'entrain, la première version radiophonique de ce texte donnée sur France Culture. La voix de Mathias Enard faisait de ma scie une plume et m'entrainait par le transsibérien jusqu'à Novossibirsk. Comme à chaque fois le même effet, amplifié au montage, dramatisé par les comédiens et le réalisateur.
J'ai pris le livre et l'ai lu à ma russe. J'avais encore les intonations de sa lecture. Je mettais des effets où ma russe n'entendait que des lourdeurs. J'avais le regard de Mathias Enard, des aubes empreintes de vodka, des artères staliniennes pleines de fantasmes, elle avait son vécu et toute sa littérature russe. Des écarts comme des satellites, Rolin, Kessel, autres regards croisés d'occidentaux se frottant au drame russe ne lui disaient rien.
J'ai relu pour moi le drame de Jeanne, Volodia et Mathias. Un voyage éteint exactement à mi-chemin entre Moscou et Vladivostock. En Sibérie, par ligne la plus droite, ou ailleurs par la ligne la plus courbe. Je l'ai lu comme une histoire d'avant l'alcool et la nostalgie. Magnifique.

Aux éditions Inculte, 13.90 €.

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