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mercredi 30 octobre 2013

LIRE , RELIRE, OFFRIR, S’OFFRIR PROUST EN BD

Quand Vicka, à qui je demandais « un beau livre pour un cadeau », m’a tendu Du Côté de chez Swann en BD, j’ai dit, sans même regarder : non, pas ça. Et sans plus réfléchir, j’ai pensé : quoi ? La Recherche en BD, quel sacrilège !
Mais c’est Proust lui-même qui m’a convaincue. Il est là, en première page, emmitouflé dans sa mythique pelisse ; et là encore, en quatrième de couverture, dans son lit, aussi beau que son portrait par Jacques-Emile Blanche, si juste, si vivant. J’étais fichue...
Vicka m’a montré la liste des sommités de la galaxie proustienne qui parrainaient le volume, et j’ai dit d’accord. Pendant qu’elle empaquetait mon cadeau, feuilletant le volume, j’ai découvert le visage des personnages : Swann, le dandy, madame Verdurin et son double menton, exactement tels que je les avais imaginés. Et voilà Oriane, la duchesse de Guermantes, telle que Proust la décrit, les yeux assortis aux pervenches de son chapeau. C’est ainsi que j’ai acheté DEUX exemplaires et que j’ai eu le bonheur de (re)lire le premier volume de la Recherche en un après-midi.
J’y ai retrouvé « mon » Proust vénéré ; et bien plus encore. Le texte, forcément bref, mais concentré comme un nectar, avec mes passages chéris, qui m’ont éblouie, émue, amusée. Un texte admirablement servi par le dessin de Stéphane Heuet - on osera dire magnifié tant le dessin donne corps à la magie proustienne. Car nous avons tous une image intérieure de nos romans préférés et, tout particulièrement, de La Recherche du Temps Perdu. Mais contrairement au cinéma où le réalisateur impose sa vision, où telle scène, tel personnage, trop explicite, ou à notre goût trop imparfait, vient heurter notre imaginaire, le dessin, plus évasif et poétique, parvient à s’y couler pour restituer, villages, clochers, personnages, Combray et Paris, la phrase impressionniste de Proust et l’aura mélodieuse et floue du souvenir.
Le succès international de la BD de Heuet témoigne de cette réussite.: 500000 exemplaires vendus dans le monde, 19 traductions.
De ces 200 pages de pur bonheur, se détachent quelques morceaux qu’on ose à peine dire « de bravoure » tant ils sont délicats.
La madeleine, le cattleya d’Odette, évidemment. Mais plus que tout, c’est la sublime représentation de la Sonate de Vinteuil qui donne la mesure du talent de l’entreprise : Heuet a réussi à dessiner la musique, l’inconscient, l’humour et la mémoire, à représenter les visages, les toilettes, les postures qui fascinent depuis un siècle.
Un des livres les plus obscurs pour certains lecteurs apparaît ainsi dans toute sa simplicité cachée. Et dans son immense beauté. C’est pourquoi ce livre enchantera non seulement les Proustiens les plus fervents, mais aussi ceux, comme Stephane Heuet l’avoue de lui-même, qui jugent Proust trop « casse-pieds » pour s’y attaquer. Laissez vous charmer par les enfants qui jouent au jardin des Champs-Elysées. Par Combray et le bois de Boulogne, où le narrateur rêve de rencontrer Gilberte, madame Swann ou la duchesse de Guermantes. Souriez des commérages de Tante Léonie, des fautes de français de la fidèle Françoise et de l’apparition malicieuse de...Philippe Sollers en écrivain mondain qui « obserrrrrrve ».
Bref, lisez et faîtes lire ce Swann inattendu. Instants merveilleux garantis.

Béatrice Bantman


Du côté de chez Swann par Stéphane Heuet. Editions Delcourt. 211 pages. 39,95€.

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