Après une parabole glaciale sur la montée du totalitarisme, le
second roman de Stéphane Velut était attendu avec un mélange de
curiosité et d’appréhension. Comment dépasser l’insoutenable
tension de Cadence dont la prose impeccablement rythmée
conduisait le lecteur tout au long d’une montée dans une
tranquille horreur, l’histoire de cette petite fille sadiquement
reconstruite, encore vivante, en poupée de cuir, de ressorts et
d’acier ? Changeant radicalement de sujet et de style avec
Festival, Stéphane Velut ne déçoit pas, mais intrigue…
Comme un avertissement, l’exergue choisie emprunte au Voyage au
bout de la nuit de Ferdinand Céline : « Les riches
n’ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer ». Nous
sommes prévenus, les personnages que nous allons rencontrer
empruntent plus au grotesque qu’au pseudo raffinement des beaux
quartiers, et le style délibérément choisi, plus au parler des
faubourgs qu’à la langue de Molière. Et pourtant, passée les
premières impressions déstabilisantes, on se prend à s’intéresser
à ces personnages gouailleurs, à leurs comportements qu’épouse
un style aussi heurté (désarticulé ?) que leur survêt vieil
orange et leurs lunettes irisées de cycliste, limite vulgaire, à
leur pauvre histoire dont la banalité finit par devenir émouvante.
Flink « a l’air d’un con », mais l’auteur, jamais
très loin, nuance : « vite dit » ! Et sa
pauvre mère, qui d’entrée l’exhorte sans y croire :
« Flink il faudrait pas te foutre dans une histoire de
meurtre »… Sûr qu’il va s’y foutre, tout en lui
lâchant « bougonne pas c’est le grand jour, ce soir
c’est la surprise »…un festival !
D’ailleurs on y est au Festival, celui de Cannes, mais pas sur la
Croisette, au camping de la Muette… Et si Flink, toujours lui, rêve
de voir un jour Hélène sa copine « poser son cul rond et élastique
sur le siège en cuir noir, maroquin doux pleine fleur d’une
Triumph spitfire 1963 rutilante », mais « on n’en est
pas là », c’est bien sur son scooter pourri qu’il la fait
monter, sentant « appuyés contre lui, la rondeur et le poids
de ses seins ».
On devine déjà qu’on ne part pas pour le casse du siècle, qu’on
n’aura pas droit à un plan à la Spaggiari… Qu’est-ce qui fait
alors qu’on ne laisse pas tomber, qu’on se laisse même prendre
peu à peu à cette pauvre histoire menée par de pauvres
bougres dans leur foutue caravane, posée au milieu des choux et
des poireaux, et dont l’exiguïté ne perd pas de se voir tout
entier dans un miroir ?
Le regard de l’auteur ! Un regard que traduit un style fort ou
tremblé, tout d’audace et de retenue, d’impudeur et de
tendresse. Un regard tendrement ironique autant que séduit par cette
vie brute et obstinée, celle qui se dégage de ces vies minuscules
portées par des certitudes assénées tranquillement, des rêves
aussi triviaux qu’épiques, et qui force sinon notre admiration du
moins notre sympathie. Et qui nous tient en haleine jusqu’au bout
du roman, même si nous savons dès les premières pages, que ça va
mal finir…C’est à nous qu’Hellène, Meert et Flink
« expliquent tout ça, les choses de la vraie vie »
(pour reprendre leurs mots). Et c’est en cela que la tentative de
Stéphane Velut nous atteint, nous touche et peut-être nous blesse…
François Longchamp.
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