Un maire de combat
Le pittoresque de l'histoire ne doit
pas faire oublier le drame d'ancien régime sous-jacent. Depuis le
19 décembre 1756 le lieutenant de juge qui autorise au nom du
seigneur, un de ces fameux « Prince » de Lurs, la tenue
de l'assemblée de la communauté, refuse que celle-ci se réunisse à
nouveau au motif que lors de la précédente le valet de ville n'est
venu le prévenir que « un quart heure avant ». Le
conseil de la communauté lui répond que c'est « l'usage de ce
lieu que l'on observe depuis un temps immémorial. ». La crise
atteint son paroxysme, le 27 janvier 1757, lorsque un « agent »
de Jean-Joseph Thézé, le lieutenant de juge, tente d'empêcher la
tenue du conseil qui se déroule sans son autorisation.
Plainte des consuls.
Plainte.
Nous Jean Baptiste Aillaud et Joseph
Roche, consuls modernes de la communauté de ce lieu de Lurs ayant
fait assembler le conseil de ladite communauté, ainsi qu'il
consiste cy-dessus, auquel Paul Esclangon, habitant de cedit lieu,
s'est rendu, et à son ordinaire, a commencé en entrant dans la
maison de ville de faire tapage comme il fait journellement dans
quelle assemblée qu'il se trouve et pendant plus d'une demi-heure,
il a sans aucun égard pour personne, provoqué les membres dudit
conseil et surtout, nous consuls et le greffier, par une infinité de
discours outrageants, et de paroles obscènes qu'il proférait à
tout moment, disant en outre que nous nous partagions le gâteau, et
nous faisions récolte les uns aux autres, que le papier était
bonhomme, que ce n'était pas sans raison que les auditeurs de compte
n'étaient pas audit conseil, que les consuls et principaux avaient
que se payer des fournitures qu'ils peuvent avoir fait pour le
service de sa majesté et retenir en même temps le bien des autres,
que si on voulait l'en croire l'on ferait délibérer d'employer le
relicat du trésorier à de grain pour distribuer à ceux qui en
auraient besoin, et mille autres propos de cette espèce, sans que
personne lui ait jamais dit le moindre mot, attendu qu'il est connu
pour un emporté, et capable de faire quelque mauvais coup ne
cherchant que l'occasion de se faire des affaires pour tacher d'en
tirer quelque parti, et le faisant avec d'autant plus d'imprudence
que d'une part il n'a rien à perdre, et que de l'autre il voit qu'on
souffre qu'il insulte et brave tout le lieu, sans l'en faire punir.
Mais comme le conseil n'a pu se remplir, et s'agissant d'une affaire
pressante, nousdits consuls aurions demandé au greffier de nous en
concéder acte pour notre décharge, ce que ledit Esclangon aurait
empêché disant que puisque le conseil n'était pas rempli, il
n'était pas nécessaire d'écrire davantage, étant cependant de
notre intérêt de faire constater de nos diligences, pour pouvoir en
venir en bout nous aurions ordonné audit Esclangon de sortir de la
maison de ville, et demandé main forte à Sr Pierre Boin de
François, à Sr Antoine Maillet Me chrirurgien, à André Aubergier
, Joseph Poussily et Louis Bergier qui sont seuls présents avec
ledit greffier à ladite assemblée, les autres y dénommés (Pierre
Boin de Claude, bourgeois, et Sr Thomas Arnaud) étant sortis pour
aller à vêpres lorqu'ils ont su que le conseil ne pouvait se
remplir. Et comme ledit Esclangon a refusé de sortir et que personne
n'a osé s'avancer pour l'y obliger, nous Aillaud l'aurions saisi par
l'habit pour le mettre de force dehors de la maison de ville en lui
disant qu'un brouillon de son espèce qui n'y vient que pour y mettre
le désordre doit en être exclu, alors ledit Esclangon nous a traité
de gueux et de Jean-passe tout outre et autres injures de cette
espèce, et voulant absolument le faire sortir, il nous a déchargé
un grand coup de poing sur le visage ; après l'avoir mis dehors, il
est revenu comme un furieux et a violé l'entrée nonobstant les
résistances du valet de ville, et l'ayant saisi derechef pour le
mettre encore hors de la maison de ville ; il s'est défendu avec une
telle violence que nous en aurions reçu plusieurs blessures aux
mains et aux jambes, nous ayant déchiré les deux manchettes soit
avec les ongles soit avec un bâton dont il est ordinairement muni ;
les susassemblés ayant voulu nous secourir ledit Sr Maillet en a eu
une main considérablement écorchée et le nommé Poussily en a reçu
un coup de pied au bas-ventre ; enfin étant venu à bout de le
pousser pour une seconde fois jusqu'à la porte, où il y a un
escalier droit d'environ quatorze marches ledit Esclangon est tombé
sur la première desdites marches, et nous tenant saisi nous a fait
rouler tout l'escalier, où nous avons risqué de perdre la vie ce
qui était apparemment le projet dudit Esclangon, et ce qu'il aurait
exécuté, étant venu derechef sur nous, sans le secours de ceux qui
sont venus nous délivrer de ses mains ; mais un excès de cette
espèce méritant une punition exemplaire nous avons requis ledit
greffier de recevoir le présent verbal pour nous servir à ce que de
droit et de le signer avec nous et autres présents qui ont su.
Signé Aillaud consul, J. Roche consul,
Boin, et nous Rollandy greffier.
A. D. 04, dépôt E 106.
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