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vendredi 17 mai 2013

Sam Wasson, 5eme avenue, 5 heure du matin

Au mois de juillet 1953, le comte Hubert James Marcel Taffin de Givenchy préparait sa prochaine collection d'hiver quand on l'interrompit :

  • Pardon, monsieur, Mlle Hepburn voudrait vous voir.

Il laissa là ses croquis pour accueillir la célèbre actrice de L'impossible Monsieur Bébé ou, comme vous venez de le voir, L'odyssée de l'African Queen, son dernier film sorti à cette date.

  • Bonjour, dit une fille brune qui ressemblait à grande brindille.
  • Bonjour, mademoiselle. Qui êtes-vous ?
  • Audrey Hepburn !
  • Ah, dit Givenchy. Pas Katherine ?
  • Non, pas Katherine... Monsieur, je viens de tourner un film intitulé Vacances romaines...
  • Je suis navré, mademoiselle, mais je suis très pris par ma nouvelle collection. Si vous voulez bien m'excuser...
  • Oui, bien sûr, je comprends mais...
  • Mademoiselle, je n'ai pas beaucoup d'assistantes et je suis pressé.
  • Je vous en prie. Il doit bien y avoir quelque chose à me faire essayer !

Audrey Hepburn était en quête d'un nouveau style, envoyée à Paris auprès des créateurs de mode par les producteurs de Sabrina, le film qu'elle devait bientôt tourner.
Au début, je n'ai pas voulu, déclarait à L'express, en 2008, Hubert de Givenchy. J'étais en pleine collection, j'avais huit ouvrières et elle avait besoin d'une trentaine de robes. Mais elle a tellement insisté: "Prêtez-les-moi, vous aurez le temps de les refaire!" J'ai finalement accepté et, ensuite, elle a demandé à chacun de ses contrats d'être habillée par moi.
Bien entendu, Audrey Hepburn devint l'égérie de Givenchy.
Accessoirement, Audrey Hepburn brilla, également, sur les écrans situés à l'ouest du rideau de fer. En 1954, au moment de la sortie française de Vacances romaines, dans le numéro d'avril des Cahiers du cinéma, Jacques Doniol-Valcroze écrivit : « Face à Gregory Peck, excellent comme à l'accoutumée, il y a, porteuse d'un nom terrible pour le cinéma, mais digne de le porter, inoubliable en tous points, Audrey Hepburn. Je ne me donnerai pas le ridicule de la découvrir. Gigi très applaudie, acclamée à New-York dans Ondine – et Giraudoux l'eut aimée – oscar 1954 – et quand fut-il plus mérité ? - ornant les couvertures de Life, Time et Look, Audrey Hepburn est peut-être aujourd'hui, à vingt-quatre ans, la plus célèbre des jeunes premières. Tous les adjectifs dont il faut user avec précaution lui conviennent : exquise, ravissante, émouvante, espiègle comme le vent, secrète comme la nuit, petite lune, petit soleil, jeune fille, princesse... ». Doniol-Valcroze jeune critique, jeune acteur, pas encore réalisateur, a, manifestement, l'Eau à la bouche.

Audrey Hepburn garda longtemps cette image de jeune fille sage, d'adolescente éternellement amoureuse : Drôle de frimousse, Ariane. Elle semblait figée dans ce type de rôle, refusant, entre autres, un script d'Hitchcock parce que son personnage subissait une agression sexuelle. Lorsque en 1960, enceinte de son premier fils Sean, on lui proposa le rôle de Holly dans l'adaptation du roman Breakfast at Tiffany's de Truman Capote, qui a pour sujet la rencontre d'une femme sexuellement libérée et d'un homme ouvertement gay, elle déclara au producteur : Oh, Martin ! Vous avez un script merveilleux (là un long silence) mais je ne peux pas interpréter une traînée. Malgré ses réticences et celles encore plus fortes de son mari, le très puritain Mel Ferrer, en raison de l'insistance de son agent qui craignait pour son avenir si elle n'évoluait pas dans sa carrière, elle interpréta ce rôle de traînée et son rôle suivant fut celui de Karen Wright, accusée d'avoir des rapports lesbiens, dans La rumeur.
Coco Chanel, dans les années vingt, années de deuil, modernisa la silhouette féminine en créant sa fameuse petite robe noire. Au cours des années qui suivirent, la petite robe noire, une des bases de la création en haute-couture, symbolisa, la discrétion et la correction pendant la crise des années trente, puis le luxe et l'élégance du New-look après la guerre. À la veille du tournage de Diamants sur canapé à l'automne 1960, le noir était la couleur des femmes fatales, il symbolisait le pouvoir, l'expérience sexuelle et le rejet de la domination masculine.
Portée par Audrey Hepburn, figure de la comédie romantique par excellence, la petite robe noire dessinée par Hubert de Givenchy, par son contraste sophistiquée, devint l'essence même du glamour. Après elle, n'importe qu'elle femme, quelle que soit sa situation, pouvait porter une telle robe et être chic partout et en toute circonstance.
C'est, du moins, ce qu'affirme Sam Wasson qui n'a pas écrit un livre, ce livre, uniquement sur la petite robe noire de Hubert de Givenchy et sur les doutes de Audrey Hepburn à interpréter le rôle de Holly. Il parle aussi de l'écrivain Truman Capote qui écrivit le roman à partir de la vie de ses amies new-yorkaises, de Blake Edwards, le réalisateur, qui ne connaissait rien à la mode, du compositeur Henry Mancini, sous qui perçait déjà une panthère rose, de l'acteur Mickey Ronney et de son art de la caricature. On voit, aussi, apparaître dans les seconds rôles : Colette, Doris Day, Marilyn Monroe, Billy Wilder qui, à un moment donné, eurent tous, leur part, dans l'élaboration du film.

Le dimanche 2 octobre 1960, à cinq heures du matin un taxi jaune remonta la cinquième avenue à New-York. L'avenue avait été évacuée pour le tournage de la scène. Ils n'avaient que peu de temps. Malgré l'atmosphère glaciale, les gens ne tarderaient pas à investir l'avenue où le premier secrétaire soviétique Nikita Khrouchtchev devait faire une apparition un peu plus tard dans la matinée. À bord du taxi, Audrey Hepburn, fumant cigarette sur cigarette, ses yeux cachés, derrière une paire de Rayban Wayfarer, pensait à Sean, son fils de dix semaines resté auprès d'une gouvernante en Suisse. Dans un sac en papier près d'elle, il y avait une viennoiserie et un café. Elle avait en horreur les viennoiseries. Mel Ferrer lui manquait tout autant qu'elle se réjouissait d'être séparée de lui. L'amour des adultes n'était pas celui qu'on voyait au cinéma, dira-t-elle. Et, comme si ça ne suffisait pas, Truman Capote était mécontent de l'adaptation. Tremblante, désespérée, elle se demandait ce qu'elle faisait sur ce tournage.

Le taxi s'arrêta au 727, cinquième avenue, devant Tiffany & Co. À la page 1 du script, il était écrit : la portière du taxi s'ouvre et une fille en descend. Elle est vêtue d'une robe de soirée décolletée dans le dos et porte, en plus de son sac à main, un sac en papier.

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